
Marché de l’emploi : renforcer l’attractivité des métiers du MCO-A dans un contexte caractérisé par une offre inédite (IV de IV)
12 mai 2025 - Par Murielle Delaporte – Temps forts du cinquième panel du cycle de conférences AD2S intitulé « Le défi de l’emploi et du maintien des compétences dans le MCO Aéro »
Voici la quatrième partie des Actes de ce panel.
La fin des méthodes d’embauche traditionnelles : sensibiliser les la génération « Z » aux cultures aéro et militaire en recrutant différemment
Côté militaire, le général Devanlay a mis en avant une difficulté supplémentaire concernant l’attractivité des métiers de MCO-A, à savoir le fait que « nous sommes les premiers confrontés à une jeunesse dont les parents n’ont pas fait leur service militaire. Ce n’est pas anodin, car cette culture du monde militaire était à l’origine d’un vivier de recrutement important pour les Armées ». La solution réside donc pour le DRHAAE dans l’accroissement de « la phase de contact entre l’AAE et la jeunesse », et ce d’autant plus que « les cohortes de jeunes Français - actuellement de 758 000 par génération - vont décroître pour atteindre seulement 600 000 jeunes dans dix ans ».
Ces phases de contact ont été mises à mal au lendemain des attentats du Bataclan puisque les militaires ne pouvaient porter leur uniforme en public, mais nombre d’initiatives sont en cours :
- rendre la journée Défense et citoyenneté plus intéressante ;
- la réserve qui doit doubler à terme et qui permet de faire découvrir l’armée à de nombreux jeunes ;
- la montée en puissance depuis 2021 des Escadrilles Air Jeunesse (EAJ), qui sont très demandées et présentes sur tout le territoire, les outremers et même à Djibouti :
une quarantaine d’EAJs proposent des vols et/ou l’apprentissage du brevet d’initiation aéronautique rendant le programme particulièrement attractif1.
Le second axe d’effort du DRHAAE – via une politique de communication active intitulée « Féminisons » visant les jeunes2, mais aussi leurs parents – concerne la question de la féminisation des métiers abordée plus haut, « un vivier représentant 50% des effectifs potentiels » dont le DRHAAE « ne peut pas se passer ». Faire comprendre qu’il n’y a pas que les métiers de pilotes et d’hôtesses de l’air passe par des campagnes scolaires et par les CIRFAs afin de « faire prendre conscience aux jeunes filles des possibilités qui s’offrent à elles ». Le taux de féminisation du recrutement de l’AAE en 2023 était de 33%.
Le message de l’AAE est de dire aux jeunes : « il y a une place pour toi… Tu n’es pas excellent en maths ? Pas de problème. Tu portes de lunettes ? Et alors ? ». Le mode de communication évolue pour s’adapter à une Génération Z « qu’il faut aller chercher là où ils jouent et passent leurs nuits. 45% de nos demandes de renseignement sur le site « devenir-aviateur.fr » ont lieu entre minuit et 3 heures du matin …. ».
La progression de carrière est aussi, pour le général Locatelli, un facteur important de valorisation autour de l’emploi, ainsi que la diversité de celui-ci : l’AAE inaugure ainsi un nouveau Master MCO spécialisé en robotique qui sera opérationnel en 2025. Tout comme la qualité de vie : le rythme de mutation géographique est en train de passer de six à neuf ans, voire douze ans… Mais le général reconnaît que des progrès demeurent à faire en matière de promotion interne entre sous-officiers et officiers.
A noter une synergie croissante entre le monde des Armées et le monde industriel, comme entre le centre de formation de pilotes et de mécaniciens de Mont de Marsan et le CTC de Dassault Aviation, comme le note le général Locatelli : « cette synergie NSO/NSI est une véritable valeur ajoutée au niveau de la formation et aussi de l’emploi ».
Politique de communication aussi pour le GIFAS qui cherche à faire passer le message que non seulement « l’Aéro recrute, mais forme aussi tous les publics qualifiés ou non ». Et chez chez les industriels de façon générale qui reconnaissent, comme les autres recruteurs, que les générations qui arrivent sont en quête de sens et ont besoin d’authenticité face à la conscience des fake news dont cette première génération internet est abreuvée depuis son plus jeune âge sur le web.
Pour Emmanuelle Roux, le recrutement a de fait « beaucoup, beaucoup évolué depuis dix ans. Il y a une dizaine d’années, on postait nos offres et on triait les candidatures qui abondaient. Aujourd’hui ce marché est devenu un marché de chasse et de pêche, c’est-à-dire que nous devons aller au-devant des candidats en densifiant notre présence sur les réseaux sociaux. Nous y informons sur l’entreprise en multipliant les témoignages d’apprentis, de stagiaires, de compagnons, parce que cette nouvelle génération a besoin d’entendre la voix et de comprendre l’expérience d’un collaborateur… Ils ne veulent pas de publicités toutes lisses … (…). C’est vraiment cela qui change : les jeunes ont besoin de connaître l’entreprise de l’intérieur. Le discours est à re-travailler, à savoir : on recrute, on vous forme et on va pouvoir vous accompagner aussi dans votre parcours. » Variété des missions, feedback immédiat, digitalisation… autant de défis pour apprendre à gérer ces nouvelles populations. « Cela veut dire que l’on change aussi la compréhension des managers sur la gestion de ces populations là… », conclut Madame Roux.
Pour Madame M’Bumu, l’« acculturation des professionnels » est de fait tout aussi importante que celle du public. France Travail dispose d’un réseau d’experts engagé dans l’innovation dans les procédures de recrutement. Parmi celles-ci la MRS ou méthode de recrutement par simulation, qui est basée sur les habilités et qui permet d’« élargir le champ des possibles » auprès de publics auxquels France Travail n’aurait pas pensé d’emblée.
« Comment fonctionne concrètement notre MRS ? Nous travaillons en étroite collaboration avec des compagnies comme Sabena Technics et Dassault Aviation sur ces sessions de recrutement. Pour vous donner un exemple, début septembre, on a constitué une équipe de douze candidats pour un poste de support de la formation pour accéder à de la formation sur mécanicien aéronautique. Donc au niveau du sourcing, on a mobilisé 44 candidats. Sur ces 44 candidats, 39 étaient présents. En termes de transformation, c'est très important. Sur ces 39, nous avons pu identifier 30 candidats potentiellement validés dans le cadre de cet accès à la formation. Douze candidats ont été retenus. L'enjeu suivant, pour France Travail, est de pouvoir repositionner les candidats qui n'ont pas été retenus chez Dassault Aviation. Mais ça montre la force de ce dispositif, de cette méthode de recrutement qui nous permet justement de travailler sur cette question de l'attractivité et de pouvoir continuer à aller identifier des talents et des profils approchants à ce secteur d'activité. »
Madame Roux a confirmé le bien-fondé de cette méthode pratiquée chez Dassault Aviation depuis 2022 : « Effectivement, on a ce dispositif de construction de compétences chez Dassault Aviation. Avec l'aide de France Travail et cette technique de MRS qui permet de détecter des aptitudes, les personnes sélectionnées intègrent vraiment des cursus certifiants qui vont les amener au bout de de quatre mois à la fois à une alternance académique et une alternance pratique sur nos sites et à avoir un diplôme reconnu par la métallurgie d'ajusteur aéronautique par exemple. Après cette formation, on intègre des candidats qui n'avaient jamais travaillé en aéronautique ou qui n'avaient même jamais pensé pouvoir accéder à ce milieu…».
Pour Philippe Dujaric, la force, mais aussi le défi de « l’aéro », tiennent au fait que l’on ne peut pas – en raison de la sécurité aérienne inhérente au domaine – être dans l’ « à peu près » : « l'aéro c'est spécifique. Il nous faut des formations plus longues que les autres. C’est malheureusement comme ça. Et une fois qu'on a les qualifications et les certificats de qualification de la métallurgie, il faut qu'on qualifie les personnels Airbus, Dassault, etc, aux procédés dans l'aéronautique. Ce sont des process de six mois, huit mois et cela représente des budgets très importants … »
Un domaine exigeant qui doit, de surcroît, faire face à de nouveaux défis, tels que la préparation à la haute intensité, un sujet que ce panel particulièrement riche et vivant n’aura pas eu le temps d’aborder…
Notes
1 Voir : https://www.jeunes.gouv.fr/escadrilles-air-jeunesse-eaj-un-dispositif-pour-les-passionnes-de-12-25-ans-1650 ; https://devenir-aviateur.fr/escadrilles-air-jeunesse ; https://www.defense.gouv.fr/epae/escadrille-air-jeunesse-eaj
2 https://www.defense.gouv.fr/air/actualites/feminisons-metiers-laeronautique-journee-prendre-son-envol
Photo © Murielle Delaporte